DOSSIER N° 1 Année 2017

De certaines évolutions sur le risque en assurance

Anne Guillou

Avocat au barreau de Paris

La condition de garantie et le risque

par
Anne Guillou

Concept juridique fondamental du droit de l’assurance, le risque n’est pourtant pas expressément défini par le code spécifiquement dédié à celui-ci. D’ailleurs, d’autres notions essentielles telles que l’assurance ou bien encore le contrat d’assurance ne font, elles non plus, l’objet d’aucune définition textuelle.

Il faut se plonger dans le dictionnaire Larousse pour appréhender le risque, dans son acception commune. Il y est défini comme : «la possibilité, probabilité d’un fait, d’un événement considéré comme un mal ou un dommage » ou bien encore comme un « préjudice, sinistre éventuel que les compagnies d’assurance garantissent moyennant le paiement d’une prime. »

Ces définitions font prévaloir une approche néfaste, préjudiciable du risque. En assurance, tel n’est pourtant pas toujours le cas. En effet, les risques nuptialité – natalité, qui font l’objet des opérations d’assurance visées à la branche 21 de l’article R. 321‑1 du code des assurances, présentent un caractère réjouissant, du moins on l’espère, lors de leur survenue.

Ceci étant, les auteurs du droit de l’assurance ont retenu une approche plus large du risque pour retenir un « évènement incertain et qui ne dépend pas exclusivement de la volonté des parties, spécialement de celle de l’assuré »[1], ou bien encore « l’évènement aléatoire contre lequel l’assuré souhaite se prémunir »[2].

Le risque constitue, en réalité, la seule raison pour laquelle l’assuré est conduit à contracter avec l’assureur.

Schématiquement, il constitue l’axe central autour duquel s’agrègent les différents éléments du contrat d’assurance.

Ainsi, le contrat d’assurance est une solution technique, construite et articulée autour de cet évènement incertain. Concrètement, cette solution se matérialise par deux réponses distinctes apportées par l’assureur : d’une part, l’obligation de garantie qui constitue la couverture du risque sur la durée et, d’autre part, l’obligation de règlement, d’indemni­sation en cas de réalisation de celui-ci. Ces deux réponses sont intrinsèquement incomplètes et limitées, la dette contractée par l’assureur ne pouvant être infinie et sans conditions.

Si l’obligation de règlement est nécessairement limitée dans son quantum, l’obligation de couverture l’est par les précisions données par l’assureur qui touchent spécifiquement à la délimitation du risque couvert.

Or, ces précisions sont données par deux types de clauses, à savoir les conditions de garantie et les exclusions de garanties qui contribuent toutes les deux, mais d’une manière différente, à la délimitation exacte du risque assuré.

Depuis toujours, elles donnent lieu à des interrogations sur l’uniformisation de leur régime. En effet, même si la condition de garantie joue un rôle essentiel permettant aux deux parties, l’assuré et l’assureur, de mesurer, en théorie, l’exacte étendue du risque assuré (I), les exigences qui entourent sa formalisation sont encore trop peu lisibles, ce qui peut mettre en péril la couverture du risque pour lequel l’assurance a été pourtant contractée (II).

I –    Le rôle essentiel de la condition de garantie dans la délimitation du risque

La condition de garantie n’est pas plus définie que le risque par le code des assurances.

Son existence se déduit pourtant des termes de l’article L. 113-1 du code des assurances qui dispose que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. »

La notion de garantie se trouve implicitement contenue dans l’expression « à la charge de l’assureur », qui évoque à la fois l’obligation de couverture du risque (garantie) et celle de règlement (indemnisation, le plus souvent). Elle s’oppose aux exclusions de garanties qui sont elles clairement visées et dont le formalisme exigé à propos de leur rédaction est explicitement décrit.

La jurisprudence a été conduite à apporter une définition technique à la condition de garantie compte tenu de sa proximité avec l’exclusion de garantie et a jugé qu’elle tendait à formuler des exigences générales et précises auxquelles la garantie est subordonnée.[3]

Une partie de la doctrine l’appréhende comme un évènement extérieur à l’objet du contrat, dont dépend l’existence de l’obligation de couvrir le risque à la charge de l’assureur[4].

En lien étroit avec le risque, la condition de garantie est une précision, générale et permanente, apportée à la définition de l’objet du risque.

La notion d’exclusion de garantie renvoie, quant à elle, à des circonstances spéciales, des cas particuliers de réalisation du risque.

En pratique, la condition de garantie contribue, de manière substantielle, à déterminer l’étendue de la garantie, tout en réduisant les probabilités de survenance du risque.

Ainsi, parmi les conditions de garantie, certaines d’entre elles ont clairement pour objet d’inciter l’assuré à une prudence et à une vigilance toutes particulières, en exigeant notamment la possession d’autorisations spécifiques telles que le permis de conduire, le brevet de pilote professionnel etc…

Mais d’autres vont au-delà en instituant un véritable arsenal de mesures de prévention du risque ou de protection minimale qui doivent être mises en œuvre antérieurement à la prise d’effet de la garantie ou, le cas échéant, être régulièrement révisées en cours de contrat.

Tant que celles-ci ne sont pas mises en œuvre, le risque n’est pas couvert. La prise d’effet de la garantie est ainsi reportée à la date de réalisation de celles-ci. Généralement, la condition de garantie agit comme une condition suspensive de l’assurance, qui ajourne la prise d’effet de celle-ci, en attendant l’accomplissement de certaines mesures.

Classiquement, les mesures de protection minimale ou de sécurité sont contractuellement prévues pour la garantie contre les risques de vol et de vandalisme et donnent d’ailleurs lieu à une abondante jurisprudence.

Ainsi, s’agissant notamment des commerces proposant à la vente des produits dits sensibles (optique, bijou…), un dispositif complet et élaboré de protection des principales ouvertures à savoir les portes et les fenêtres est généralement exigé, alliant souvent des mécanismes manuels de verrouillage et de fermeture (volets en bois, grille, serrures à trois points, vitres anti-effractions etc…) à des dispositifs automatiques (rideau métallique plein avec commande électrique, alarme avec télé surveillance).

S’agissant des véhicules de particuliers, cette même clause exige généralement la présence d’un antivol de direction et d’un antivol supplémentaire.

De telles mesures de prévention constituent un préalable nécessaire à la prise en charge de l’assureur, l’assuré étant tenu de suivre scrupuleusement et en amont les prescriptions ainsi posées.

Elles doivent lui permettre, en théorie, de savoir à quelles conditions générales son risque se trouve couvert quand les exclusions lui permettent de connaitre les cas particuliers dans lesquels il ne l’est pas.

Pour autant, le formalisme entourant la rédaction de ces mesures de protection n’est pas sans poser difficulté. En effet, celui-ci semble encore aujourd’hui moins contraignant, et soumis à des appréciations hétérogènes, ce qui nuit, in fine, aux intérêts de l’assuré.

II –   L’insécurité générée par les exigences peu lisibles applicables aux conditions de garantie

Contrairement aux exclusions de garantie, les conditions de garantie ne sont légalement soumises à aucun formalisme particulier.

Plus précisément, elles n’ont ni à être formelles et limitées ni même à être indiquées en caractères très apparents, comme le prévoit expressément l’article L. 113-1 du code des assurances pour les exclusions de garantie. Tout juste la jurisprudence a-t-elle admis qu’elles devaient être claires et précises, ce qui recoupe en partie, le caractère formel des exclusions, pour permettre à l’assuré de connaître avec exactitude l’étendue du risque assuré.[5]

Or, l’appréciation de ces deux critères par la jurisprudence actuelle laisse parfois songeur.

Au préalable, il convient de rappeler que le critère de précision, qui s’applique donc autant aux conditions qu’aux exclusions de garantie, prohibe le recours de l’assureur à des notions floues voire indéterminées.

Pourtant, la Cour de cassation se révèle moins exigeante dans l’appréciation de ce critère s’agissant des conditions que des exclusions de garantie.

Ainsi, la deuxième chambre civile a pu récemment juger que la clause afférente à la conformité d’une installation électrique aux prescriptions réglementaires, sans davantage de précision sur la nature exacte des normes en vigueur, présentait la précision requise pour être opposable à l’assuré.[6]

Pourtant, s’agissant de l’exclusion de garantie, la seule référence à des normes indéterminées telles que les règles de l’art est jugée insuffisante par la jurisprudence[7]. Pour recevoir application, cette référence doit s’accompagner de mentions supplémentaires et documentées sur le type de normes à prendre en considération et, le cas échéant, sur les organismes techniques compétents à caractère officiel qui les définissent.[8]

Ceci est d’autant plus vrai, lorsque les sources documentaires apparaissent éparses et multiples.

À contrario, il n’existe pas de difficulté particulière s’agissant par exemple du taux d’alcoolémie défini par la réglementation en vigueur qui implique une unicité de source de droit applicable, de sorte qu’il n’existe pas de place pour le doute ou l’interprétation.

De plus, la Cour de cassation a également pu, par le passé, interpréter une condition de garantie ambigüe au profit de l’assureur en étendant, s’agissant d’une garantie contre le vol, le périmètre des mesures de protection au premier étage, alors qu’elles n’avaient clairement pas été posées contractuellement.[9]

Ces critères sont donc toujours souplement appliqués s’agissant de la condition de garantie.

Pourtant, l’exigence de prévisibilité commande à l’assureur d’indiquer précisément ce qui est garanti à l’assuré.

Les mesures de prévention des risques devraient être rédigées de manière d’autant plus rigoureuse, qu’il n’est pas exigé de lien entre la condition de garantie et la réalisation du risque, ce qui n’est pas le cas des exclusions de garantie.

Dans un certain nombre de cas, on le sait, les exigences de protection, telles que les mesures antivol, sont sans incidence sur la réalisation même du risque.

À ce jour, la jurisprudence retient que, quelle que soit l’incidence de telles mesures de protection sur la réalisation du risque vol, celles-ci doivent impérativement être mises en œuvre, alors même, que l’on constate que les mesures de prévention ne tiennent pas toujours compte de la mutation des techniques de vol[10].

Celles-ci se révèlent même inopérantes lorsque le véhicule est volé avec son équipement et déplacé au moyen d’une fourgonnette ou lorsque qu’attaché, à un panneau de signalisation, celui-ci est tout bonnement arraché.

Enfin, il convient de s’interroger sur l’applicabilité du caractère limité, prévu pour les exclusions de garantie, et précisément en rapport à la substance de la garantie.

Une exclusion de garantie est limitée dans la mesure où elle n’affecte pas la substance même de la garantie.

Ce caractère limité de la clause est justifié par la nécessité de prévoir dans le contrat des circonstances particulières, des hypothèses spécifiques, dans lesquelles l’assureur qui a pourtant vocation à intervenir sera dispensé de son obligation de règlement. Ces circonstances doivent être précisément identifiées et, assez logiquement, limitées en nombre.

S’agissant des conditions de garantie, le caractère limité n’est pas légalement exigé. Il n’était pas non plus, jusqu’à présent, recherché par la jurisprudence.

Pourtant, on a pu mettre en évidence, la litanie des mesures de prévention des risques et de protection qui, de par leur nombre et leur étendue, confinent parfois à annuler tout espoir de garantie, la réalisation même du risque devenant impossible.

Dans ces conditions, l’inadaptation de la garantie à la situation de l’assuré est parfois invoquée.

C’est d’ailleurs, en substance, le raisonnement qu’avait tenu un assuré dans une récente affaire jugée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation[11].

L’assuré avait estimé que la clause prescrivant la mise en place de multiples mesures de protection le contraignait, de facto, à accomplir différents travaux et que l’assurance n’était donc pas adaptée à sa situation.

La jurisprudence actuelle reste donc favorable à l’assureur, dès lors que les clauses prévoyant des mesures de protection sont claires et précises.

Les assurés ont tendance à se déplacer sur le terrain de l’obligation d’information et de conseil s’agissant de l’adéquation de la garantie à leur propre situation.

Mais en l’état, si ces clauses utilisent des termes sans équivoque, impliquant des prescriptions impératives qui portent sur l’installation de mesures de protection listées de manière exhaustive, l’assureur peut légitimement les opposer à l’assuré.

D’ailleurs, cette clause est traitée, par la jurisprudence comme une information objective, ne nécessitant pas de conseil ou de renseignement supplémentaire de la part de l’intermédiaire d’assurance, l’assuré étant jugé en mesure de vérifier par lui-même, et indépendamment de ses connaissances techniques et professionnelles, les conditions précises de la garantie.[12]

Un espoir toutefois semble se faire jour s’agissant de l’application du caractère limité à la condition de garantie.

Dans une affaire jugée au début de cette année, la première chambre civile a clairement évoqué la question du caractère limité de la condition de garantie, en constatant que les juges du fond avaient bien recherché si la condition exigée par l’assureur, en l’espèce, la recherche de la preuve du caractère définitif de l’invalidité subie par l’assuré, ne privait pas d’effets la garantie.[13]

Ainsi, en se fondant sur la substance même de la garantie, il pourrait être fait échec à des conditions dont la mise en œuvre viendrait priver celle-ci d’effet utile.

Ceci étant, les critères de lecture des conditions de garantie sont encore, à ce jour, trop flous pour que l’assuré puisse toujours connaître l’exacte étendue de la couverture de son risque. En effet, si la grille de lecture des exclusions de garantie semble établie, celle des conditions de garantie est plus fluctuante.

Ceci justifie d’autant plus la recherche d’une harmonisation des exigences s’appliquant aux deux types de clauses, l’intérêt de l’assuré commandant que la délimitation du risque soit possible tant à travers des conditions que des exclusions de garantie, sauf à maintenir une insécurité juridique au détriment de l’assuré.

[1] –      Picard et Besson, Les Assurances Terrestres en droit français, T.1, n° 21.

[2] –      Luc Mayaux, Encyclopédie Dalloz, Droit civil, Assurances terrestres, n° 5.

[3] –      Cass. 1ère civ., 23 février 1999, n° 96-21744.

[4] –      Bigot, Beauchard, Heuzé, Kullmann, Mayaux, Nicolas, Traité de droit des assurances, T.3, n° 1712.

[5] –      Voir par exemple, Cass. 2ème civ., 16 décembre 2004, n° 03-18232.

[6] –      Cass. 2ème civ., 20 octobre 2016, n° 15-25839.

[7] –      Cass. 1ère civ., 8 octobre 1974, n° 73-12497.

[8] –      Cass. 3ème civ., 24 mars 2015, n° 13-25737.

[9] –      Cass. 2ème civ., 15 décembre 2011, n° 10‑26677.

[10] –    Cass. com., 16 juin 2009, n° 08-15249.

[11] –    Cass. 2ème civ., 8 décembre 2016, susvisé.

[12] –    Voir en dernier lieu, Cass. 2ème civ., 8 décembre 2016, n° 15-21723.

[13] –    Cass. 1ère civ., 25 janvier 2017, n° 15-24216.

Sommaire

  • Avant-propos
    SABINE ABRAVANEL-JOLLY
    AXELLE ASTEGIANO-LA RIZZA

  • Risque et code civil
    Quelques réflexions sur l’aléa dans le contrat d’assurance
    PHILIPPE CASSON