DOSSIER N° 1 Année 2017

De certaines évolutions sur le risque en assurance

Loïc de Graëve

Maître de conférences HDR en droit privé, Faculté de Droit, Économie et Administration de Metz, Université de Lorraine – Membre de l’Institut François Geny

 

L’assurabilité du risque

Promouvoir une rationalisation pratique
par une analyse théorique

par
Loïc de Graëve

  1. – L’assurabilité du risque : un non-sens ?– La définition de l’assurabilité ne pose aucune réelle difficulté ; l’assurabilité devant en effet s’entendre de la capacité pour un risque à être raisonnablement pris en considération par le droit des assurances et à se trouver dès lors éligible à une garantie contractuelle. Si l’ “assurabilité” est un concept peu commun en droit, on s’aperçoit donc qu’il peut néanmoins s’appréhender facilement. L’assurabilité renferme ainsi la qualité de ce qui peut être assuré, des circonstances menaçantes pour les personnes ou pour les biens qui peuvent faire l’objet d’un dispositif assurantiel. En conséquence, l’assurabilité conduit avant tout et nécessairement à une discrimination des risques ; ainsi s’opposent d’une part les risques assurables et donc susceptibles d’être garantis par un contrat d’assurance et, d’autre part, les risques non-assurables et dès lors totalement exclus de tout mécanisme de garantie[1].

Ceci étant, et nonobstant la limpidité de la définition à laquelle nous avons malgré tout succombé, la question de l’assurabilité du risque apparaît tout à la fois évidente, inutile et dépassable.

  1. – L’assurabilité des risques : une question évidente.– Évidente tout d’abord, puisqu’on ne saurait imaginer un quelconque processus assurantiel (de dommages ou de personnes) détaché de toute analyse de la faisabilité de la prise en charge par l’assureur de tels ou tels risques, définis comme des évènements futurs, aléatoires et nécessairement redoutés ; bref ces “évènements incertains” au sens de l’article 1108 du Code civil[2].

En ce sens, l’assurabilité s’entend donc de la possibilité pour un risque donné d’être garanti par une entreprise d’assurance, de sorte que s’interroger sur l’assurabilité d’un risque constitue mécaniquement la phase essentielle et originelle de toute démarche assurantielle. Ne pas le faire reviendrait donc ni plus ni moins – et a fortiori étrangement – qu’à nier l’objet même du droit des assurances.

  1. – L’assurabilité des risques : une question inutile.– Inutile ensuite puisqu’un risque ne peut exister juridiquement qu’au regard de son caractère assurable. Un “risque” au sens strict – c’est-à-dire au sens des règles propres au droit des assurances – ne peut en effet être désigné comme tel qu’à partir du seul instant où la menace pesant sur les biens ou les personnes a été reconnue comme assurable, pouvant[3] – voire devant – dès lors bénéficier d’une garantie et pénétrant pleinement et légitimement le champ du droit des assurances.

S’interroger sur l’assurabilité du risque apparaît dès lors non plus simplement comme une évidence mais, plus spécifiquement, comme un non-sens puisqu’un risque se trouve par principe assurable. En d’autres termes, s’il n’est pas assurable, le risque n’en est finalement pas un mais constitue une menace, un danger, un impondérable pesant sur les biens et les personnes ; laquelle menace, lequel danger, lequel impondérable demeureront une stricte fatalité puisque dénuée de toute perspective de garantie.

Si c’est bien de risque dont il est question, celui-ci se trouve donc nécessairement garanti, de sorte que le questionnement ne devrait pas être celui de l’assurabilité ou non du risque mais plutôt de savoir quel doit être l’objet précis de cette assurabilité, quel est le type de situations assurable. Le risque étant nécessairement assurable, la réponse ne peut donc plus se restreindre à lui. Il conviendrait dès lors de distinguer le phénomène constitutif d’une menace – non encore assuré mais théoriquement assurable – et le risque au sens strict et juridique du terme qui, par définition, est assurable et susceptible d’être pris en charge dans le cadre d’une garantie assurantielle.

  1. – L’assurabilité des risques : une question dépassable.– Dépassable enfin puisque précisément et au regard de la remarque qui précède[4], nous interroger sur l’assurabilité du risque peut faire craindre que l’analyse demeure stérile. L’interrogation se limite-t-elle à fixer les évènements pouvant ou non être assurables ou la réflexion suppose-t-elle bien autre chose ? Car en effet, s’il est des “risques” – brefs des situations dommageables – qui, par nature, ne peuvent recevoir une quelconque garantie, d’autres au contraire ont accès à cette protection… à moins que des éléments particuliers les en écartent.

Par ailleurs, l’assurabilité ne peut se concevoir qu’au regard du seul risque. Cette qualité, si elle est dépendante effectivement de la nature du risque (I) ou des circonstances qui l’entourent (II), est tributaire également des modalités de garantie gravitant autour de ce risque. En d’autres termes, un risque par nature assurable ou dont les circonstances a priori ne le prédisposent pas à être rejeté de toute prise en charge assurantielle, sera inassurable du fait de l’impossibilité ou des profondes difficultés auxquelles est confronté l’État pour le rendre assurable. Des efforts non négligeables doivent dès lors être déployés pour rendre possible cette assurabilité (III).

  1. – La détermination de l’assurabilité au regard de la nature du risque : le risque par nature inassurable
  2. – La loi, source de toute inassurabilité ?– Si l’on a pu discuter dans les lignes précédentes la pertinence du questionnement sur l’assurabilité du risque, un élément supplémentaire semble pouvoir participer à ce questionnement : la loi. En effet, on sait parfaitement que l’inassurabilité est posée par la loi elle-même laquelle exclut du champ de tout processus assurantiel non seulement les mouvements populaires[5] mais également et surtout la faute intentionnelle ou dolosive[6]. En conséquence, au regard de ces évènements, aucune question d’assurabilité – ou non – de ces faits ne doit prospérer du seul fait de la volonté du législateur.

Sur ces deux risques par nature inassurables, quel état des lieux peut être établi ? S’agissant du risque de guerre, émeute et mouvement populaire, si la jurisprudence est par la force des choses peu féconde, elle est aussi peu novatrice. S’agissant de la faute intentionnelle, la jurisprudence est au contraire prolixe, cette abondance pouvant laisser par ailleurs l’observateur extrêmement incrédule.

  1. – L’exclusion de la guerre, des émeutes et des mouvements populaires : Nihil novi sub sole.– Si les dispositions de l’article L. 121-8 du Code des assurances témoignent de la prégnance du législateur sur la détermination des contours de l’assurabilité, force est de reconnaître que cette prégnance disparaît par l’effet de la liberté contractuelle, laquelle peut atteindre ouvertement ce cas d’exclusion. Au-delà du fait qu’il faille démontrer une relation de cause à effet entre le phénomène considéré – guerre, émeute, mouvement populaire – et le sinistre, il est admis que les parties puissent moduler cette cause d’exclusion ; les dispositions sont explicites : « L’assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires »[7].

La Deuxième Chambre civile est venue très récemment illustrer ce point[8]. Dans un arrêt du 23 mars dernier, la Cour de cassation rejette en effet un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion qui avait valablement constaté que les assureurs mis en cause dans ce dossier étaient tenus de garantir le sinistre, à savoir l’annulation par arrêté municipal d’un spectacle en raison du risque de propagation d’émeutes populaires qui avaient éclaté dans les nuits précédentes à proximité immédiate du lieu de l’événement. Pour maintenir la garantie et, dès lors, le caractère assurable du risque, les juges du fond s’étaient fondés sur les conditions particulières (ou spécifiques) du contrat d’assurance, lesquelles énuméraient une série de onze cas d’exclusions de garantie ; et parmi elles ne figuraient pas les dommages résultant d’émeutes ou de mouvements populaires. Dans le combat “exclusion légale versus liberté contractuelle”, la Deuxième Chambre civile ne peut donc qu’être légaliste et privilégier logiquement la seconde au préjudice de la première.

Quelques mois plus tôt, la même Chambre avait en revanche censuré la Cour d’appel de Pau non pour mauvaise appréciation des dispositions conventionnelles mais pour manque de base légale[9]. Les juges du fond avaient en effet déduit de l’article L. 121-8 du Code des assurances une condition non explicitement posée par le texte. Deux mineurs avaient provoqué des incendies à des véhicules et des bâtiments dans le cadre d’une « action délibérée, programmée et planifiée ». Selon la Cour d’appel, cet élément prémédité suffisait à exclure les faits ainsi commis de la catégorie des émeutes et mouvements populaires marqués selon elle par un caractère nécessairement spontané. La Cour de cassation casse et annule cette décision estimant « que l’absence de caractère spontané ne suffit pas à écarter la qualification d’émeute ou de mouvement populaire au sens [de l’article L. 121-8] auquel se réfère le contrat ». Il convient donc de ne pas ajouter au texte même si l’on ne peut qu’admettre – et regretter – le manque profond de clarté de ses dispositions[10].

Si cette dernière décision a posé question quant à l’interprétation de l’article L. 121-8, il eût été tout aussi aisé de relever quelques difficultés quant à l’application de l’article L. 113-1 du Code des assurances et quant à la lecture discutable de la faute intentionnelle faite par la même Deuxième Chambre civile.

  1. – L’exclusion de la faute intentionnelle ou dolosive : Error communis facit jus? Ou comment vouloir ce que l’on ne peut forcément prévoir ? – Puisque le contrat d’assurance repose sur l’aléa, il est normal que le législateur exclue de la garantie l’ensemble des éléments qui, précisément, rejette celui-ci de la situation dommageable. C’est en cela justement que l’alinéa 2 de l’article L. 113-1 du Code des assurances énonce que « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».

Sur ce principe ainsi posé, dont acte. En revanche, s’agissant de l’appréciation des Deuxième et Troisième chambres civiles de la Cour de cassation, des doutes peuvent légitimement germer dans l’esprit de l’observateur. Derrière le brouhaha jurisprudentiel[11] et la volonté irrémédiable de garantir l’indemnisation des sinistres, se dissimule une lecture plus que douteuse de la faute intentionnelle ou dolosive[12].

Si la majorité de la doctrine tend à se satisfaire de la vision selon laquelle il ne peut y avoir de faute intentionnelle exclusive de garantie qu’à partir du seul instant où l’assuré a voulu créer le dommage tel qu’il est survenu, on rejette ici cette lecture tant il paraît difficile – voire impossible – alors de se retrouver dans une telle situation.

On maintiendra donc encore notre profonde préoccupation envers un tel acharnement jurisprudentiel qui tend à dévoyer la teneur même d’une intention exclusive de garantie[13]. Car à suivre cette lecture de la faute intentionnelle, l’assureur se devra de garantir un assuré qui, nonobstant sa profonde et réelle malveillance – prouvée voire peut-être assumée par l’intéressé – se défendra aisément en déclamant, les yeux dans les yeux avec son assureur, qu’il n’a jamais voulu le dommage tel qu’il s’est produit, ni maintenant, ni avant… La défense peut paraître un peu faible ; elle suffira néanmoins puisqu’aucune présomption ne pourra jouer en considération de la réalité des faits et de la clarté indiscutable de la malveillance.

La Cour de cassation conserve donc ici – bon gré mal gré – une assurabilité du risque là même où, pourtant, elle ne devrait raisonnablement plus recevoir aucun accueil favorable. Devant le risque d’un défaut d’indemnisation par l’assuré – non ou peu solvable – en cas d’exclusion de garantie pour reconnaissance d’une faute intentionnelle, la Cour de cassation tord le cou à l’un des principes les plus essentiels de notre droit des assurances et accepte que l’assurance joue là même où, par définition, il ne peut plus y avoir d’aléa dans la survenance du dommage. Certes, un aléa demeure quant à la gravité de celui-ci ; cet aléa ne peut pour autant suffire puisque, là encore par définition, la gravité du dommage est indéterminable à l’avance. La Haute juridiction accorde donc l’assurabilité à des risques par nature inassurables… là où les parties rejettent par ailleurs dans certains cas l’assurabilité à des risques par nature assurables.

  1. – La détermination de l’assurabilité au regard de l’environnement du risque :

    les risques par nature assurables… mais non assurés

  2. – Assurabilité, inassurabilité et non-assura­bilité du risque.– Comme cela a été indiqué, s’interroger sur le caractère assurable ou non du risque revient donc à s’interroger sur l’éligibilité ou non de celui-ci à une garantie.

Ceci étant, derrière cette appréhension simple – voire simpliste – du concept, se cache une pluralité d’approches de l’assurabilité du risque, ce qui conduit à devoir différencier non plus deux éléments – “assurabilité” et “inassurabilité” – mais trois en intégrant l’idée de “non-assurabilité”. Si d’apparence un risque est soit assurable soit inassurable, l’approfondissement de la matière oblige effectivement à entrevoir une autre hypothèse, celle effectivement de la non-assurabilité du risque.

Pour clarifier le propos, précisons ce que recouvrent finalement ces trois concepts ?

On ne reviendra naturellement pas sur celui d’assurabilité qui, on en conviendra aisément, ne peut s’entendre que de la capacité pour un évènement aléatoire et redouté à bénéficier d’une garantie.

S’agissant de l’inassurabilité, ce terme rassemble finalement les hypothèses qui, par nature, ne peuvent jamais donner lieu à garantie, sauf lorsque le législateur admet des dérogations par voie de clauses contractuelles. En d’autres termes, l’inassurabilité regroupe les exclusions légales étudiées précédemment[14].

S’agissant de la non-assurabilité, le postulat de départ est tout autre puisque cette notion concerne des risques qui, par nature, sont assurables mais qui, du fait de la volonté des parties, ne bénéficieront d’aucune protection assurantielle. La doctrine envisage ces différentes hypothèses dans les termes suivants : « La détermination de l’aire contractuelle a délimité une zone hors de laquelle il y a au sens propre “non-assurance”, stricto sensu. Mais dans le cadre de l’aire contractuelle, des exclusions de risque peuvent rejeter hors de l’assurance, objet du contrat, un certain nombre d’événements ou de dommages et ce rejet a pour effet une “non- assurance” dérivée, lato sensu »[15]. Là où, pour les risques inassurables, la liberté contractuelle leur permettait d’accéder à une garantie, on s’aperçoit ici que le schéma s’inverse ; la liberté contractuelle venant précisément faire naître une exclusion de certains risques, dont la teneur ne peut à elle-seule suffire à justifier une mise à l’écart par voie légale.

  1. – Non-assurabilité conventionnelle.– Certes, il est des cas dans lesquels la détermination de l’assurabilité du risque peut être facilitée par la présence de présomptions légales, lesquelles vont contraindre les assureurs à garantir tels ou tels risques[16]. Ceci étant, il faut bien remarquer que la volonté des parties (ou plutôt celle de l’assureur qui imposera ses conditions générales et particulières) joue un rôle essentiel et exclusif de garantie. La Cour de cassation, sur le fondement des articles L. 112-4 et L. 113-1 du Code des assurances, assure un contrôle des clauses d’exclusion devant répondre à des impératifs tant formels que substantiels.

D’un point de vue formel, la clause d’exclusion doit être rédigée en caractères très apparents ce qui suppose que l’assuré puisse aisément percevoir visuellement sa particulière importance. D’un point de vue substantiel, l’assuré doit être là encore en mesure d’apprécier l’étendue de l’exclusion, de sorte que seront annulées les clauses trop imprécises[17] ou générales ou faisant naître trop d’équivoques. Dans un arrêt récent[18], la Deuxième Chambre civile énonce implicitement que la généralité de la formulation de la clause d’exclusion de garantie n’empêche pas sa recevabilité dès lors que les notions et critères énoncés sont dénués d’ambiguïté et n’impose aucune interprétation de ladite clause[19]. Dans une décision du même jour[20], la Deuxième Chambre civile a procédé à une requalification d’une clause – de condition de garantie à exclusion de garantie – et, corrélativement, prononcé l’inopposabilité de celle-ci du fait de son défaut de caractère limité. En soumettant l’assurance au respect des « normes de sécurité résultant des obligations légales et réglementaires en vigueur », l’assureur a non seulement posé une réelle exclusion de garantie mais a également et surtout soumis l’assuré à des dispositions trop générales ne lui permettant pas valablement de connaître l’étendue de cette exclusion. En d’autres termes, la Cour de cassation retient que la clause ne peut être valable dès lors que, du fait de son ambiguïté, une interprétation est nécessaire, excluant ainsi qu’elle soit formelle et limitée. Tel est le cas de la clause « qui exclut “les frais exposés pour le remplacement, la remise en état ou le remboursement des biens fournis par l’assuré et/ou pour la reprise des travaux exécutés par lui, cause ou origine du dommage, ainsi que les frais de dépose et repose et les dommages immatériels qui en découlent” »[21].

III. –  La détermination de l’assurabilité au regard des modalités de la garantie

  1. – Assurabilité conditionnée.– Certains risques, bien que parfaitement éligibles à une protection assurantielle au regard des critères fixés précédemment, ne le seront toutefois que difficilement compte tenu des difficultés liées aux modalités de leur prise en charge. Parce qu’ils pèsent sur une catégorie de population particulièrement vulnérable au regard de la sinistralité, ces risques doivent nécessairement, pour être assurables, suivre un mécanisme de garantie tout à fait particulier. En d’autres termes, l’assurabilité sera conditionnée à des dispositifs propres permettant justement, le cas échéant, une pleine et effective indemnisation des sinistres. Prenons brièvement deux exemples tirés du droit de la santé pour s’en convaincre.
  2. – Assurabilité des médecins exerçant à titre libéral.– La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé[22] posant l’obligation d’assurance en matière médicale[23] a crispé un peu plus un segment de l’assurance déjà passablement tendu[24]. Outre une déstabilisation du marché de l’assurance de responsabilité civile professionnelle médicale et une hausse significative des primes demandées aux médecins – notamment en charge de spécialités à risques tel que les chirurgiens ou les obstétriciens-accoucheurs – ces dispositions légales n’ont pas été accompagnées des outils permettant une pleine sécurisation des professionnels. En effet, ceux-ci restaient confrontés à différents trous de garantie du fait notamment du dépassement des plafonds de garantie, de l’action récursoire pouvant être entreprise par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) ou encore de l’expiration de la garantie. À n’entreprendre aucune démarche afin de lutter contre ces inconvénients excluait de fait ces risques de toute assurabilité. Aussi, la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012[25] est-elle venue établir une pleine assurabilité de ces risques et rétablir une certaine sécurisation des professionnels de santé en créant un « Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé »[26]. En intervenant au-delà des plafonds de garantie et par-delà l’expiration du délai de validité du contrat d’assurance, ce fonds permet aux professionnels de santé exerçant à titre libéral de pouvoir voir leurs risques pleinement pris en charge. Il existe certes quelques incertitudes ici ou là laissant planer des doutes non négligeables sur la véritable effectivité de ce dispositif[27] ; il n’empêche que des efforts conséquents ont été réalisés en ce domaine afin de renforcer l’assurabilité du risque d’engagement de la responsabilité civile médicale.
  3. – Assurabilité des personnes présentant un risque aggravé de santé.– Les personnes présentant un risque aggravé de santé sont confrontées, au-delà des complications matérielles et économiques liées précisément à leur état, à des difficultés d’accès au crédit. Si cette problématique se pose à n’importe quel individu, lequel devra démontrer ses capacités de remboursement, force est de constater qu’elle prend une importance toute particulière envers les personnes souffrant d’une maladie ou d’un handicap. Dans le cadre d’un crédit à la consommation, d’un crédit immobilier ou d’un crédit nécessité pour les besoins liés à une activité professionnelle, les établissements bancaires et de crédit procèderont non seulement à une étude détaillée de la solvabilité du candidat au prêt et de sa capacité à pouvoir rembourser les échéances mais soumettront également celui-ci à une assurance emprunteur en cas notamment de décès ou d’invalidité.

Pour permettre une pleine assurabilité de ce risque et, aussi, un plein accès au crédit aux personnes présentant un risque aggravé de santé, un dispositif conventionnel a été établi. La Convention AERAS (“S’assurer et Emprunteur avec un Risque Aggravé de Santé”) du 6 juillet 2006 a été signée[28] afin d’adapter à cette catégorie de personnes les conditions d’éligibilité à l’assurance emprunteur et d’écarter ainsi tout risque de majoration de primes, de prolifération d’exclusions ou de conditions de garantie ou encore de refus d’assurance non motivés. La loi n° 2007-131 du 31 janvier 2007 relative à l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé[29] a consacré ce mécanisme aux articles L. 1141-2 et suivants du Code de la santé publique.

En dernier lieu, l’article 190 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé[30] a inséré un article L. 1141-5 au sein du Code de la santé publique afin d’instaurer le droit à l’oubli, c’est-à-dire des « délais au-delà desquels aucune information médicale relative aux pathologies cancéreuses ne peut être recueillie par les organismes assureurs »[31]. En vertu de l’alinéa 4 de cette disposition, les délais ne peuvent excéder dix ans après la date de fin du protocole thérapeutique ou, pour les pathologies cancéreuses survenues avant l’âge de dix-huit ans, cinq ans à compter de la fin du protocole thérapeutique.

On le voit, le législateur, sur une impulsion conventionnelle, s’est une nouvelle fois chargé d’établir l’assurabilité de risques qui, par nature, n’étaient pas inassurables mais dont les éléments qui l’entouraient rendaient cette assurabilité très – trop – incertaine.

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  1. Parce qu’une simple menace est peut-être un risque qui s’ignore, il faut savoir dégager un certain nombre de critères permettant la détermination de l’assurabilité de cet évènement. Ces critères d’éligibilité – ou de non-éligibilité – à l’assurance tiennent à la nature même du risque ou aux différents éléments qui l’entourent. La prise en considération de ces critères est essentielle voire vitale pour le marché de l’assurance qui a obligation d’établir ce qui doit et ce qui ne doit pas entrer dans le champ d’une garantie. Ne pas effectuer ce travail de discrimination des risques ou soumettre cette réflexion à des critères peu ou pas rigoureux peut fragiliser ce marché et la mutualisation des risques. S’il est évident que certains risques ne peuvent par principe et moralement être garantis (fautes intentionnelles), il faut également accepter que d’autres ne le soient pas non plus, même si, dans l’abstrait, rien ne s’y opposerait. Mais cette acceptation du rejet de l’assurabilité de certains risques a ses limites ; la morale qui vient d’être évoquée impose en effet que certaines personnes soient assurables et assurées au regard des risques auxquels elles se trouvent confrontées ou, à tout le moins, que le Droit se charge d’établir les règles et mécanismes adéquats afin de garantir le plus raisonnablement possible cette assurabilité.

[1] –      Pour une mise en relation des concepts d’ “assurabilité”, d’ “inassurabilité” et de “non-assurabilité”, V. infra, n° 8.

[2] –      C. civ., art. 1108 : « Le contrat est (…) aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ».

[3] –      V. infra, nos 8 et 9 concernant le concept de “non-assurabilité”.

[4] –      V. supra, n° 3.

[5] –      C. ass., art. L. 121-8.

[6] –      C. ass., art. L. 113-1, al. 2.

[7] –      C’est nous qui soulignons.

[8] –      Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-10.589 (inédit).

[9] –      Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-24.116 (publié au bull.) ; Resp. civ. et ass. 2017, comm. 60, obs. H. Groutel ; JCP éd. G. 2016.1307, note L. Perdrix ; D. 2016. 2398.

[10] –    En ce sens, V. not. de Graëve (L.), Droit des assurances, Bréal, coll. Lexifac Droit, 2e éd., 2015, spéc. p. 147.

[11] –    Parmi le bavardage jurisprudentiel, V. par exemple Cass. 2e civ., 9 avr. 2009, n° 08-15.867, Resp. civ. et assur. 2009, comm. 197 – Cass. 2e civ., 18 févr. 2010, n° 08-19.044, Resp. civ. et assur. 2010, comm. 137 – Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n° 09-10.590, Resp. civ. et assur. 2010, comm. 263, obs. H. Groutel – Cass. 3e civ., 11 juill. 2012, RGDA 2013, p. 56, obs. J.-P. Karila – Cass. 2e civ., 18 oct. 2012, n° 11-13.084, Resp. civ. et assur. 2013, comm. 36, obs. H. Groutel – Cass. 3e civ., 1er juill. 2015, n° 14-19.826 et n° 14-50.038, Resp. civ. et ass. 2015, comm. 304, obs. H. Groutel – Cass. 3e civ., 1er juill. 2015, n° 14-11.971, n° 14-10.210, n° 14-13.403 et n° 14‑17.230, Resp. civ. et assur. 2015, comm. 304, H. Groutel ; LEDA sept. 2015, p. 4, obs. C. Charbonneau ; RDI 2015, p. 425, obs. D. Noguéro – Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, n° 15‑20.512 et n° 15-24.654, Resp. civ. et ass. 2016, comm. 324, obs. H. Groutel ; Constr.-Urb. 2016, comm. 137, obs. M.‑L. Pagès-de Varenne ; RGDA sept. 2016, n° 113, p. 410, P. Dessuet.

[12] –    Nous retiendrons comme synonymes ces deux concepts même si, au regard de certains arrêts, il est possible de considérer que la faute dolosive est « caractérisée comme étant le comportement d’un assuré rendant inéluctable la réalisation du dommage » et « la faute intentionnelle [comme] celle où l’assuré a eu la volonté de causer le dommage tel qu’il s’est produit » (Groutel (H.), « Faute intentionnelle : appréciation », Resp. civ. et ass. 2015, comm. 304).

[13] –    V. not. de Graëve (L.), « Crêpage de chignons autour de l’article L. 113-1 C. ass. (à propos de Cass. Civ. 2e, 16 janv. 2014) », www.actuassurance.com, mars-avril 2014, n° 35, act. jurisp.

[14] –    V. supra, nos 5 à 7.

[15] –    Lambert-Faivre (Y.) et Leveneur (L.), Droit des assurances, Paris, Dalloz, coll. Précis, 13e éd., 2011, n° 350.

[16] –    Tel est le cas en matière de risques de catastrophes naturelles (C. ass., art. L. 125-1 et ss.), de risques de catastrophes technologiques (C. ass., art. L. 128-1 et ss.) ou de risques de dommages matériels liés aux actes d’attentat (C. ass., art. L. 126-2 ; pour les risques de dommages corporels, cf. C. ass., art. L. 126-1 et art. L. 422-1 à L. 422-3 prévoyant l’indemnisation par un fonds de garantie).

[17] –    Cass. 3e civ., 24 nov. 2016, n° 15-25.415 (publié au bull.), Resp. civ. et assur. 2017, comm. 62, note H. Groutel ; RGDA 2017, p. 48, note P. Dessuet. Pour des exemples de clauses précises, V. not. Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, n° 15‑21.063 (inédit) – Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n° 16‑12.120 (inédit).

[18] –    Cas. 2e civ., 27 avril 2017, n° 16-15.721 (inédit).

[19] –    La clause litigieuse excluait du champ de la garantie « les conséquences des actes et traitements thérapeutiques » indépendamment de toute autre précision.

[20] –    Cass. 2e civ., 27 avril 2017, n° 16-14.397 (inédit).

[21] –    Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, n° 15-23.841 (publié au bull.), Resp. civ. et ass. 2017, comm. 27, obs. H. Groutel. V. égal. Cass. 3e civ., 5 janv. 2017, n° 15-26.089 (inédit) (la clause excluant de la garantie de l’assureur les frais exposés pour le remplacement, la remise en état ou la reprise des travaux exécutés par l’assuré, ainsi que les frais de dépose et repose, est ambiguë et sujette à interprétation, ce qui exclut qu’elle fût formelle et limitée).

[22] –    JO du 5 mars 2002, p. 4118.

[23] –    C. santé publ., art. L. 1142-2, al. 1er : « Les professionnels de santé exerçant à titre libéral, les établissements de santé, services de santé et organismes mentionnés à l’article L. 1142-1, et toute autre personne morale, autre que l’État, exerçant des activités de prévention, de diagnostic ou de soins ainsi que les producteurs, exploitants et fournisseurs de produits de santé, à l’état de produits finis, mentionnés à l’article L. 5311-1 à l’exclusion du 5°, sous réserve des dispositions de l’article L. 1222-9, et des 11°, 14° et 15°, utilisés à l’occasion de ces activités, sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l’ensemble de cette activité ».

[24] –    Pour un éclairage sur ce point, V. spéc. Lambert-Faivre (Y.), « La crise de l’assurance responsabilité civile médicale », D. 2003, p. 142.

[25] –    JO du 29 déc. 2011, p. 22441.

[26] –    V. spéc. C. ass., art. L. 426-1.

[27] –    C’est le cas notamment des modalités d’intervention du Fonds de garantie à une procédure transactionnelle ; sur ce point, V. spéc. de Graëve (L.), Droit des assurances, op. cit., pp. 297 à 299.

[28] –    Entrée en vigueur le 7 janvier 2007. V. égal. avenants signés le 1er févr. 2011 (entré en vigueur le 1er mars 2011) et le 2 sept. 2015.

[29] –    JO du 1er févr. 2007, p. 1945.

[30] –    JO du 27 janv. 2016.

[31] –    C. santé publ., art. L. 1141-5, al. 1er.

Sommaire

  • Avant-propos
    SABINE ABRAVANEL-JOLLY
    AXELLE ASTEGIANO-LA RIZZA

  • Risque et code civil
    Quelques réflexions sur l’aléa dans le contrat d’assurance
    PHILIPPE CASSON